Dimanche 21 avril 2024 - homélie prononcée par mgr Dominique Blanchet (évêque latin de Créteil) lors de la Messe célébrée en rite arménien catholique - église St Sulpice Paris
Frères et sœurs, alors que nous commémorons le terrible génocide arménien de 1915, en comprenant que nous ne pourrons jamais clore cette mémoire, car elle désigne un abîme sans fond, de violence. Comment se fait-il que la capacité et l'ingéniosité de l'homme se mettent au service de l'extermination d'un peuple? D'où vient ce Mal, ce "grand Mal"? Voilà ce qui doit continuer d'habiter nos cœurs.
Ainsi faire commémoration aujourd'hui, c'est d'une part affirmer la dignité de vos parents en honorant leur mémoire, eux dont la vie a été radicalement méprisée par idéologie. C'est aussi poser pour aujourd'hui un acte de résistance au mal en gardant nos lampes allumées, nous rappelant comme le dit le livre de la genèse combien ce Mal est comme une "bête féroce tapie à notre porte, et qui désire nous dominer" (Gn 4,7). Nous la voyons continuer de sévir et menacer en divers espaces du monde où des hommes choisissent d'écarter, voire d'exterminer d'autres en raison de leur appartenance à un peuple, à une nation. Faisant acte de commémoration aujourd'hui, nous pensons à toutes les personnes dans le monde qui se sentent menacées en raison de leur appartenance à un peuple. Nous pensons bien sûr aux arméniens du Haut Karabakh ; nous pensons aussi aux ukrainiens, aux habitants d'Israël et de Palestine, aux victimes des conflits multiples en Afrique centrale; nous pensons hélas que les commémorations des terribles génocides du siècle passés peinent à guérir notre humanité de sa cécité sur ce dont elle est capable.
C'est ainsi qu'en ce 109ème anniversaire de ce si douloureux évènement, nous nous rappelons en cette célébration une autre réalité plus indépassable encore que le mal, celle de la victoire de Jésus-Christ sur le péché et sur la mort. Votre nation en a été le premier témoin comme peuple, accueillant le baptême. Ce témoignage se voit dans vos magnifiques paysages en Arménie avec ses églises et ses monastères nombreux. Ces pierres ne seraient rien sans le témoignage vivant jusqu'à aujourd'hui des nombreux arméniens dans le monde qui témoignent de cette victoire de Dieu sur toute force de mort, par la grâce de Jésus, Christ qui illumine le monde. Vos bienheureux et saints martyrs sont nombreux. Ils nous portent dans leur prière pour aujourd'hui, pour que notre foi ne défaille pas, à la vue du mal qui continue de sévir.
La joie dont nous parle les textes de l'Ecriture en ce jour, cette joie de Jésus qu'il souhaite voir habiter en nos cœurs est la joie de ceux qui se savent sauvés, victorieux de ces forces de mort par sa grâce. "Sans moi, vous ne pouvez rien faire " nous dit Jésus. Ces forces de mort sont de fait terribles et l'histoire nous le dit. Mais l'histoire nous dit aussi que Jésus a lui-même choisi de se laisser anéantir par ces forces pour se laisser relever par son Père. Dans le saint mystère de l'incarnation, Dieu a choisi de vivre notre condition humaine, jusqu'au bout pour la traverser en notre nom et nous permettre de traverser avec Lui. C'est ainsi que nous pouvons entendre ces mots de la première lettre de Pierre:" Que personne d'entre vous, en effet, n'ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c'est comme chrétien, qu'il n'ait pas de honte, et qu'il rende gloire à Dieu pour ce nom-là."
"Comme chrétiens", notre foi ne nous préserve pas de l'épreuve mais elle nous la fait habiter avec le Seigneur Jésus. Lorsque nous demandons au Seigneur de nous écarter l'épreuve lorsqu'elle survient, nous le rejoignons à Gethsémani mais nous confondons parfois " être épargnés" et "être exaucés". Quelques chapitres précédant celui-ci, Jésus, devant le tombeau de Lazare s'écrit" Mon Père m'exauce toujours !". Ici il nous parle de joie qui sera parfaite...et quelques chapitres plus loin nous le verrons cloué sur le bois de la croix, mourir de notre mort. Peut-être laisserons-nous aller la même question que bien des témoins d'alors:" Si Ton Père t'exauce toujours, pourquoi ne te descend il pas de la croix? Pourquoi te laisse-t-il mourir de façon si infâme et si injuste?" Ces "pourquoi" habitent toujours nos cœurs devant la puissance du Mal et la douleur qu'il engendre. Comme croyants, nous faisons le pas de plus, celui de Résurrection.
Oui le Père a exaucé le Fils. Non Jésus n'est pas épargné. II l'avait bien sûr demandé à Gethsémani. Mais s'il n'a pas été épargné, il a été exaucé. C'est pour nous rejoindre précisément en ce fait que nous ne sommes pas épargnés, par ces violences, par cette "bête féroce tapie à notre porte" qu'il n'a pas été épargné lui-même pour que nous puissions traverser l'épreuve avec Lui et soyons exaucés, victorieux avec Lui
Comme chrétiens, reprenant les mots de la lettre de st Pierre lue à l'instant," ne soyons pas étonnés d'être éprouvés", mais soyons étonnés et confiants d'être exaucés.
Rappelons-nous alors le commandement de Jésus et sa solidité. Tenir en ses commandements est le seul chemin sûr, le seul en capacité de désarmer la violence.
La lettre de Pierre conclut ce petit passage en exhortant au bien. II ne s'agit pas d'une exhortation naïve mais bien d'une maxime de sagesse: " Ainsi, ceux qui souffrent en faisant la volonté de Dieu, qu'ils confient leurs âmes au Créateur fidèle, en faisant le bien.". Elle ressemble à celle de Paul dans la lettre aux Romains. " ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois victorieux du mal par le bien" (Rom 12,21)
Permettez-moi frères et sœurs de terminer ainsi cette homélie en vous redisant ma profonde communion en cette douleur et inquiétude pour les évènements sombres d'aujourd'hui, ma prière pour que nous soyons épargnés d'un nouveau drame, mais je voudrais surtout vous dire ma confiance, que notre prière est exaucée et nous fait déjà traverser toute épreuve avec la grâce du Christ qui nous précède.
Avec vous, je rends donc grâce à Dieu en ce jour, pour vous, pour les générations qui ont survécu au génocide, pour votre témoignage de foi et pour le bien que vous faîtes.
" Ce qui fait la gloire de mon Père, c'est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples" nous dit Jésus. Que son Esprit vous aide et vous fortifie aujourd'hui. Amen.
Lectures : 1P4,12-19 / Jn 15, 5-14